www.farahdouibi.fr

contes

www.farahdouibi.fr

LE BÂTISSEUR

ou Le Bâtisseur qui ne Savait Pas Dire Non

LA SYMBOLIQUE

Paratextes

Si tu rencontres ton maître


Je vais à présent vous parler de la naissance de la deuxième partie du conte, ce deuxième jour où le bâtisseur est visité par son père, son chef de village et son prêtre, et où une même idée de contrainte les lie.

Au IXe siècle en Chine, Lin-tsu disait ceci :

« Adeptes, voulez-vous voir les choses conformément à la Loi ? Gardez-vous seulement de vous laisser égarer par les gens. Gardez-vous […] de vous laisser égarer par les gens. Tout ce que vous rencontrez, au-dehors et même au dedans de vous-même, tuez-le. Si vous rencontrez Bouddha, tuez le Bouddha ! Si vous rencontrez un patriarche, tuez le patriarche ! Si vous rencontrez un Arhat*, tuez l’Arhat ! Si vous rencontrez vos père et mère, tuez vos père et mère ! Si vous rencontrez vos proches, tuez vos proches ! C’est là le moyen de vous délivrer, et d’échapper à l’esclavage des choses ; c’est là l’évasion, c’est là l’indépendance ! »

Ce verbe fort – tuez – n’est pas à prendre à la lettre ; c’est métaphorique. Lin-tsu montre ainsi sa volonté de faire disparaître les liens qui nous rendent faux, nous contraignent dans une voie qui n’est pas la nôtre, en vérité, nous aliènent. Comme je souhaitais dégager de cette notion trois personnages, les plus représentatifs des liens aliénants de nos sociétés modernes, j’ai adapté ces propos ainsi :

Si tu rencontres ton père, tue-le.
Si tu rencontres ton maître, tue-le.
Si tu rencontres ton dieu, tue-le.

Ce qui m’a amenée à construire le tableau suivant :

LE 1er JOUR
LE 2e JOUR LE 3e JOUR  
le père le chef duu village le prêtre Personnages
chef du village le chef du village le chef spirituel Nom d'autorité
chef spirituel le village l'esprit Espace d'autorité
le père le maître le dieu Trinité d'autorité
l'enfant l'administré l'ouaille Infentilise en bâtisseur en…
l'abandon l'autorité l'inconnu
surpuissant
Projection de peur en…

* dans le bouddhisme, homme ayant atteint le dernier échelon de la sagesse.


L’œil du cyclone


Les deux parties qui suivent traitent de deux symboles forts présents dans le conte, dont voici le premier : vers la fin du conte, le bâtisseur est témoin de la destruction de sa maison par les éléments. Il voit se diriger sur lui un ouragan dévastateur. Le bâtisseur ferme alors les yeux et lorsqu’il les rouvre, il se retrouve dans un espace particulièrement calme où il n’y a plus ni vent, ni pluie. Sans être dit, c’est l’œil du cyclone.

L’œil du cyclone représente le lieu en nous qui nous est réservé, intouchable et protégé, le plus en son sein et en son cœur : notre ressource intérieure. Cette métaphore nous invite à nous recentrer sur nous-mêmes, à regarder en nous pour que dans la tourmente, nous puissions y puiser notre force, nos ressources intérieures afin de retrouver la sérénité.

L’œil du cyclone, cette zone de calme au milieu de la tourmente est une lumière dans les ténèbres, un espoir qui illumine un amas de pensées tortueuses. Ainsi, les erreurs cycliques du bâtisseur débouchent sur la compréhension. La fée Sagesse le prend sous son aile et pareille à l’œil du cyclone, illumine le bâtisseur.


La lumière de la sagesse


La fée, de son nom Sagesse, représente cette même sagesse : la connaissance, la raison, le discernement ou encore le bon sens. Son nom est là pour guider le lecteur vers cette compréhension.

On retrouve pareillement en tout début du conte la description du Royaume de Sagesse dont le nom est autant celui du royaume que celui de son roi et aussi celui qui caractérise le mieux l’identité du peuple de ce royaume « dont le roi dispensait la raison ». La fée Sagesse est légitimement la fée de ce royaume.

La fée Sagesse s’incarne en lueur et la lumière représente la sagesse dans l’inconscient collectif. Ne dit-on pas une idée lumineuse ? Ou encore, d’une personne qui ne comprend pas ou pas vite qu’elle n’a pas la lumière à tous les étages ? D’une personne qui comprend vite et bien, on dit qu’elle est une lumière, ou encore dit-on d’un enseignement ou d’une explication qu’elle nous a éclairés, qu’elle a fait la lumière. Ne parle-t-on pas de personnes éclairées lorsqu’elles ont une compréhension profonde sur des notions peu communes, vastes ou complexes ?

Dans son incapacité à dire non, quelles qu’en soient par ailleurs les raisons, le bâtisseur va aller d’épreuve en épreuve de plus en plus loin dans son obscurité. La lumière de la fée Sagesse illumine le bâtisseur qui est alors totalement embourbé dans les miasmes de son obscurité. Ce schéma répété et ses conséquences vont alors lui apparaître clairement, lui offrant un choix :

  • perpétuer le schéma qui l’a amené là et mourir ;
    → ne jamais plus aider personne.
  • sortir de ce cercle vicieux et vivre ;
    → continuer à aider, mais en se respectant.

Ce qui va être déterminant est la compréhension de sa situation, la sagesse, car sans elle, le bâtisseur n’est pas à même de comprendre les rouages qui le maintiennent dans ses miasmes et de fait, ne lui permettra pas ce choix. La lumière de la sagesse, la fée Sagesse, est justement là pour apporter cet élément manquant.

  1.  ➔ La fée éclaire le bâtisseur de sa lumière.
  2.  ➔ Elle l’éclaire de sa sagesse (son attribut).
  3.  ➔ Le bâtisseur est alors éclairé.
  4.  ➔ Il comprend, il s’assagit.

De prime abord, la fée était là pour informer le bâtisseur de la cause de sa chute avant son trépas :

Mais comme le bâtisseur a vite compris la problématique de sa situation en devenant plus sage, il a ainsi conquis le cœur de la fée, car la fée Sagesse ne peut résister à la sagesse elle-même. Ainsi va-t-elle aider le bâtisseur en lui offrant un sursis :

La fée s’arrête à ce sursis pour laisser le bâtisseur faire le reste du chemin par ses propres moyens : son choix. Le bâtisseur en ressort plus lumineux, certes fatigué de cet exercice – qui ne le serait pas – mais serein. Il sait que son avenir sera lui aussi lumineux.

Au final, à l’obscurité succède la lumière, à la nuit le petit matin. Pour marquer cette entrée dans la lumière, la dernière page double est à dominance blanche, tandis que les autres possèdent un contour noir.

Erreur après erreur, le bâtisseur s’ouvre à la sagesse, la vérité, la conscience et par là, sort des ténèbres d’où il vient pour se diriger vers la lumière : un pas vers sa souveraineté.


Contresens


Dans une des nombreuses versions que j’ai écrites de ce conte, la fin se terminait sans vraiment proposer d’explications au lecteur. À force de travail sur ce conte, une seule lecture s’est ancrée en moi jusqu’à ce que ma mère me montre une autre lecture possible, bien plus égoïste du conte : tu sais, avec une fin pareille, j’ai l’impression que tu me dis qu’il ne faut pas aider les autres.

À seule fin d’éviter pareil contresens, j’ai développé ce qui était à l’époque la dernière double-page au point de devoir en faire deux. Je me propose d’écarter, ici aussi, ce contresens.

Le bâtisseur aide beaucoup et le problème ne vient pas de l’aide qu’il apporte, mais de ce que l’aide apportée va finir par le tuer. La fée Sagesse lui dit d’ailleurs ceci :

Ce qui signifie : si tu n’avais pas été généreux, je ne serais pas venue t’aider, car tu ne l’aurais pas mérité. La générosité n’est donc pas ici en cause. C’est autre chose qui l’est. Sans le dire clairement, la fée lui fait comprendre que ce n’est plus la générosité qui guide ses pas mais le sacrifice et ce, sans en connaître toutes les conséquences.

Là encore, le bâtisseur, dans son infinie bonté, estimera que son sacrifice est une bonne chose, car il croit que sa mort aura au moins servi à sauver autrui. Cette croyance est remise en cause par l’accusation de la fée : en comprenant que sa disparition ne condamne pas que sa personne, mais également toutes les personnes qu’il aurait pu sauver dans l’avenir, il comprend pleinement toutes les conséquences de ce sacrifice.


Double sens


Cette ligne peut être interprétée de deux manières, selon ce que l’on souhaite faire prévaloir :

Et j’aide si je puis fait penser que le bâtisseur, une fois rétabli, ira de nouveau aider… sans doute comme avant : tant qu’il pourra, il aidera ; s’il est en état, il n’aura pas de raison de dire non.

Je pense à moi d’abord est très différent. Cela implique que le bâtisseur va avant tout s’écouter et lorsqu’il aidera de nouveau, ce sera parce qu’il l’aura jugé bon. Il n’est plus tenu d’aider systématiquement les autres et pourra juger de ce qui est prioritaire, son état, certes, mais pas que.

Ce dernier sens est celui que je souhaite apporter avec ce conte, un choix libre et éclairé qui respecte la personne. Cependant, j’ai bien conscience qu’il n’est pas acceptable par certains. La fin peut donc être interprétée des deux manières, au choix du lecteur.


Le sens du sacrifice


Au départ, je souhaitais que mon premier livre de conte soit sur un autre sujet qui me tient particulièrement à cœur (l’autodétermination des individus), mais j’ai rencontré trop de gens qui se donnaient en sacrifice au point de ne plus exister. J’ai jugé plus urgent de sortir ce conte-là.

Pourquoi sommes-nous aussi sujets à tant de sacrifices ?

Comme dans ce conte, cela peut être dû à l’orgueil, à la contrainte exercée par une autorité ou par pure bonté d’âme.

Cela peut aussi être dû aux formatages de l’enfance qui nous font agir de la sorte de manière automatique : ne dis pas non, fais plaisir, etc., mais cela peut aussi être lié à d’autres problématiques comme la mésestime de soi : je ne suis pas assez bien pour penser à mon propre bonheur, alors je préfère penser au bonheur des autres, ou bien être encore dû à la culpabilité, au désir de se punir d’une faute dont on se croit coupable : je ne mérite pas de penser à mon bonheur, alors pour me punir (ou me racheter), je vais plutôt penser au bonheur des autres.

Dans ces trois cas et sans doute d’autres que je n’ai pas en tête, le sacrifice est fait pour des raisons peu louables, ce qui n’enlève rien de son bénéfice aux autres.

Cependant, le sacrifice ne devrait-il pas venir d’une intention pure de bonté envers autrui, en toute conscience de ce que l’on s’apprête à faire et de ses conséquences ? N’est-ce pas en cela que le sacrifice revêt son caractère sacré ?

Car oui, étymologiquement, le sacrifice est un acte sacré.